Page:Angers - Les révélations du crime ou Cambray et ses complices, 1837.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
9

te le paierai bien. Envoie-moi aussi les amis. Tu ne me connais pas ; mon nom est Charles Cambray. Mon principal commerce de bois est au Palais : tu m’y trouveras en tout temps. Mais ce n’est pas tout, viens un peu à terre, que nous fassions connaissance, en prenant le punch ensemble. »

« J’acceptai la proposition. Voilà la première entrevue que j’aie jamais eu avec cet homme. Dès ce jour je fis connaissance avec lui, et vous saurez le reste. En effet, suivant ses instructions, je me mis à la recherche de plançons égarés, j’en trouvai, et je les lui vendis. Bientôt j’eus plus d’argent que je n’en avais jamais possédé de ma vie, je jugeai le commerce avantageux, j’appris aussi la manière de faire sortir les plançons des bômes. Je ne fus pas long-temps sans connaître à fonds et sans m’accoutumer à pratiquer sans remords le lucratif métier d’écumeur : écumeur est le nom qu’on donne à ceux qui trouvent dans le Port maints articles qui ne sont pas perdus. Je ne prévoyais guères où ce premier pas me conduirait. Il faut avouer qu’on a en Canada d’étranges notions quant à la propriété des bois ; c’est un pillage que ce commerce. Tel homme, réputé honnête dans toutes les autres transactions de la vie, a une conscience de turc quand il s’agit d’un plançon. »

« Quelque temps avant la clôture de la navigation, comme je me préparais à retourner à Broughton, je rencontrai Cambray, qui me dit avec son air insinuant et persuasif : —

« Waterworth, tu es un brave garçon, et j’ai besoin de toi. Tiens, je sais où il y a de très beaux bois, seulement à neuf ou dix milles de Québec. Viens avec moi ; je t’assure qu’il y a là un bon coup à faire… Une seule bonne marée de nuit, et c’est un profit clair. »

« Nous fîmes l’expédition, et elle fut des plus heureuses. Nous emmenâmes pour dix louis de bois : j’eus dix chelins pour ma part. De retour à Québec, Cambray me dit : —

« George, je sais que tu es intelligent, et que tu peux faire quelque chose. Reviens de bonne heure de Broughton le printemps prochain, et je te ferai mon associé : tu verras quel commerce nous ferons. Mais avant ton départ, j’ai une espièglerie à te proposer. Il nous faudra, tu sais, pour notre trafic une écumeuse, une bonne chaloupe, légère comme une plume. Norris, ton beau-frère, a bien le bijou qu’il nous faut ; il vendrait, mais ce sont des prix sans conscience… Je parlais donc d’espièglerie, tu devrais la lui souffler, cette chaloupe ? —

« Comment ! Lui faire un pareil tour, lui qui m’a nourri tout l’Été : Oh ! ce ne serait pas juste. »