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Dialogue du Vent et des Pins


À Mme H. de Naussanne.


Le vent de la mer balance les pins — les pins sveltes qui couronnent la dune. Il leur jette les embruns de la vague et son souffle murmure à travers leurs branches.

— Frères, dit-il, je vous plains !… Je vous plains d’être immobiles, de naître et de vivre à la même place ! Vous ne savez rien des secrets merveilleux que je ravis partout, au passage des régions lointaines d’où j’accours, d’un bond. Votre horizon reste immuable. Vous ne savez rien au delà !

Vous ne savez rien au delà et voire pouvoir est nul ! Tandis qu’on doit compter avec moi — et on me redoute. Mon haleine enfle les voiles, hérisse les flots, disperse les nuées, précipite la tempête et l’avalanche ; mes caprices font trembler les hommes, et je les brise comme des fœtus, eux et leurs plus formidables ouvrages de pierre ou d’airain. Frères, frères, que n’êtes-vous tels que moi, libres, puissants et rapides !

Les pins oscillent dans l’air ; leurs cimes s’échevellent, et leurs ramilles bruissent pour répondre à la voix impérieuse.

— Frère, vif, léger et ardent, nous t'admirons ! Nous aimons sentir ton souffle dans nos branches ; tu nous apportes l’âcre parfum de la mer et la fraîche odeur des vallons. Nous tendons nos bras vers les nuages que tu pousses devant toi, et nous épions les étoiles que tu découvres ou que tu caches. Nos feuilles légères vibrent à la cadence qui te plaît ! Et ces jeux nous divertissent ! Avec plaisir, nous écoutons les secrets que tu chuchotes ; nous frémissons à tes fureurs. Continue de nous bercer d’harmonie et de varier notre horizon céleste. Nous t’admirons d’être libre, audacieux et fort !

Mais ne nous blâme pas d’aimer la place où nous sommes nés de garder notre cœur à la terre qui nous a nourris… Chante, joue et vagabonde… Nous te regardons passer, et nous demeurons…

Mathilde ALANIC.