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voyage du condottière

Ils sculptent pour sculpter, tant qu’ils ont un pan de marbre. Cette immense façade n’est faite que de morceaux : elle ressemble à une espèce d’autel, hors de toute proportion, ou à la cheminée d’un château démesuré, demeure des géants.

Il faudrait accepter cet art pour ce qu’il est : c’est là comprendre. Mais on ne peut se borner à comprendre : vivre va bien au-delà. Ni philosophe, ni historien, je suis homme. J’aime ou n’aime pas. L’art est une passion ; et l’on vit en art, comme on vit en passion : le goût est le tact délicat de ce qui nous flatte ou de ce qui nous blesse. Peut-être le goût est-il le sens le plus subtil de la vie. On me prend le cœur, si on l’émeut ; et faute de l’émouvoir, on le dégoûte. Qui a goûté de l’émotion, ne se plaît plus à rien, sinon à être ému. En art, l’émotion c’est l’amour.

Est-ce beau ? N’est-ce pas beau ? Je voudrais admirer, et je ne puis.

Un travail infini. Mille détails achevés ou charmants ; mais point d’œuvre : l’unité manque. Les lignes n’ont point de sens. Sur la vaste étendue, pas un espace libre. L’œil qui contemple ne rencontre pas le rythme qu’il cherche ; la pensée qui analyse ne trouve pas non plus les raisons cachées du monument : la symétrie seule répond à tout, parce que la symétrie est l’ordre des rhéteurs et de l’apparence. La croix là-dessus est presque ridicule. Le soubassement est un musée de médailles et de portraits. La surface parlante ne dit rien de l’église dont elle parle. Les deux ailes ne coïncident même plus aux chapelles. Les fenêtres à candélabre n’éclairent rien et n’ouvrent sur rien.

Hélas, que de marbre ! Le marbre est trop commun en Italie. Il ne leur coûte pas assez cher. Faits au marbre avant de l’être