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voyage du condottière

ques allemands cirent leurs bottes avec les saintes huiles : Crémone a subi toutes les formes de la violence et de l’outrage. Depuis, toute la ville dort : mais elle fait de la musique. Toute la force de la race se replie alors dans les luthiers, et réside en eux.

Ce furent de fameux hommes. Ils conduisaient jusqu’à l’extrême limite une vie harmonieuse, enthousiaste et pure. Ils sont magnifiques comme des patriarches, et vénérables par la longévité. Trois Amati, de père en fils, suffisent à remplir deux siècles. André Amati, le chef de l’illustre famille, est né en 1500 : son petit-fils Nicolo est mort en 1689, à quatre-vingt-huit ans. Il est lui-même le bon maître d’Antoine Stradivari, son gendre, le luthier immortel ; et celui-ci, ayant vécu plein de sagesse et d’amour pour son art, s’en est allé presque centenaire[1].

Ils sont de très bonne souche. Un Amati, homme noble, a joué un rôle à Crémone cinq siècles plus tôt ; et son nom est dans les chroniques de l’an mil. Chez tous ces artistes, on sent la plus forte tradition de métier, et la plus belle discipline. Leur passion pour le bel instrument n’est jamais satisfaite. Tantôt, comme Jean-Paul Maggini, ils font de très grands violons, qu’ils voûtent dès les bords ; tantôt ils cherchent un modèle plus petit. Le génie de chacun se marque à la couleur de la pâte. Le vieil Amati aime le vernis un peu clair, et la douceur d’un ton apaisé. Maggini se plaît au jaune brun ; les deux Guadagnini, au rouge ambré ; Guarneri, au rouge sourd. Quant au grand Stradivarius, que son vernis soit rouge ou jaune, il est toujours trempé de lumière et nourri d’or.

Les Amati sont les Mozart ; les Stradivarius, les Beethoven.

  1. Antoine Stradivari, Stradivarius le Grand, est mort en effet à 94 ans en 1737.