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voyage du condottière

préfère à toutes délices, ne m’a plus quitté. Amour est sans pardon, Amour est sans pitié, Amour est sans retour ni relâche.

Comme j’ai été la proie d’Amour et dois toujours l’être, Amour fait aussi sa proie de ceux qu’on aime et qui ne veulent pas aimer. Ainsi, le malheur d’aimer s’étend au delà de l’amant, à tout ce qu’il aime. Qui en fit l’épreuve plus que moi, qui suis immortel pour désespérer ?

Écoute. Elle m’a dédaigné. Elle ne m’a pas accordé un regard ; elle ne me fit pas l’aumône d’un mensonge ni d’un sourire. Alors, je suis venu dans la forêt, pour oublier. Car il n’est que de fuir : du moins, je le croyais.

Mais plus j’ai vécu dans la solitude, plus mon cœur fut tout à son amour. Un grand amour a toute la nature pour complice. La vie de plaisir ne me fut jamais rien.

J’ai été visité des courtisanes : mais la plus jeune est vieille comme le lit de Salomé, et leurs rires sont un trésor d’ennui. Et la femme adultère est une pêche pleine de vers, sur un noyau pourri. Dans les voluptés d’emprunt, un amant malheureux se déchire. Tout plaisir est dégoût, pour celui qui est privé du seul amour qu’il désire.

Je promenais mon mal dans la forêt ; et tous les pins me connurent ; les vipères ont su tous mes pas. J’avais dressé des tentes en soie d’or sous les ombrages. Et comme d’autres courtisanes, des amis, des parents me visitèrent. Mais je les fuyais, dans le même moment que je me forçais à leur faire l’accueil le plus digne. Je les saluais. Je les invitais à prendre place. Ma maison, mes chevaux, mes écuyers et mes pages, je leur quittais l’usage de tous mes biens. Je ne leur demandais, en retour, que de me laisser mon silence. On leur servait les mets les plus rares et les vins les plus vivants. Mais au milieu d’eux, et de leurs rires au-