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voyage du condottière

fin. Ici donc, ont fini les consuls, les légions, le Sénat, les Augustes. Ils ont reculé devant le roi de la cendre et l’empereur de la poussière : une éminente dignité, s’il en fut, et qui brave les révolutions. Une ville vue de haut, un empire, tout un monde, qu’est-ce après tout ? Ce n’est qu’un homme, un rien, un peu de fièvre, le souffle d’une ombre, une mousse sur un pan de décombres. On est toujours assez haut, sur le bord désert de la mer. N’ont-ils pas cru noyer la mort, aussi, en la faisant chrétienne ? La mer, la pleine eau de l’oubli, son règne est bien à l’horizon de Ravenne. L’écume meurt sur le sable hagard ; les serpents endormis des algues roulent paresseusement de la grève à la vague.

Mais je ne ferai pas séjour dans la pensée qui nie. Le plus vaste et le plus désolé des espaces, même aux portes de Ravenne, et sur le seuil visible de la mort, ce n’est pas pour me livrer au flot que je retrouve la mer. Sublime, elle n’est pas sans espoir. Car l’heure, non plus que l’action, ne s’arrête pas. Voici que l’ombre se charge d’écarlate : la mer attend le soleil ; et pour le moment prescrit, infaillible, le soleil viendra.