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voyage du condottière

jusqu’aux genoux. Les vieilles tours branlent, comme les bras d’un prêtre centenaire au lever-Dieu, sous la ruée de l’averse oblique. Un désert règne entre les quartiers habités et les remparts. Telle la mort glace d’abord les extrémités, la vie s’est retirée peu à peu vers le centre ; mais le cœur aussi semble à demi gâté. La taciturne est ensablée. Je me rappelle la Darse étroite et longue, et sept barques moroses sur l’eau pourrie. Au loin, une barre sur le ciel, comme de la fumée noire. On se promène dans Ravenne, avec une sorte d’ombre, l’idée qu’on marche sur une autre Ravenne engloutie.

Basse entre les peupliers, la rotonde de Théodoric moisit dans la maremme. L’eau bourbeuse monte autour des piliers ; elle les suce et les mine par la base. La coupole est fendue ; les portes sont craquelées, et la mousse y a logé ses fourmilières endormies. Les blocs de la bâtisse sont creusés comme le bois mangé aux vers, ou comme les rides au visage d’une vieille grêlée de la petite vérole. On dirait qu’un tremblement de terre a descellé ce misérable, cet énorme tombeau, vide même des os que les Barbares y couchèrent.

Dans cette métropole de la fatalité, la basilique est une chambre des morts. Un souffle putride tombe des voûtes. La lumière aux portes est malsaine. Les éléments sont dissous. La terre se liquéfie, la pierre se couvre d’écume et le marbre s’émiette. Ha ! qui peut s’attendre à l’étincelante féerie de ces églises, quand on parcourt la ville muette et morte ? On croit entrer dans une cave ; l’eau qui suinte de ces cryptes semble l’épanchement horrible des sépulcres ; et ce tombeau est la sphère de Golconde, un tabernacle de pierres précieuses, un sanctuaire d’éblouissante magie.

À Saint-Vital, à Galla Placidia, aux deux Appollinaires, l’éton-