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mense effort de se tirer au-dessus de la foule, en se faisant un marchepied d’actions violentes, de fourbes et de crimes, il en faut bien autant pour ne pas abuser du pouvoir, quand on l’a. Les princes scélérats n’ont pas même si bon goût : la vile affinité, qui apparente les comédiens et les meurtriers, ne parut jamais plus manifeste qu’entre tous ces Visconti, ces Este et ces Malatesta. Ils ont une vanité d’histrions en possession de la faveur publique. Ils se griment en Césars romains, ils engraissent leur joue de tous les fards qui imitent la puissance. Les comédiens, utiles au poète, sont en horreur au poète. Ainsi le poète sublime de l’action, le Destin, se sert avec mépris des princes histrions.

Assurez-vous que les princes fripons de Rimini ont entassé le meurtre, le vol, l’adultère et les incestes, comme les méchants acteurs, qui se croient tout permis, redoublent leurs pires effets, quand on ne les chasse pas de la scène. Les bouffons sont tragiques, s’ils règnent et qu’on ne les siffle. À l’occasion de leurs moindres désirs, ces petits misérables ont joué la grande passion. Du magnifique Néron, ils n’ont jamais eu que l’œil fuyant et l’insolence. N’est pas Néron qui veut : l’empereur avait été formé par un philosophe double, étant stoïcien ; il fut instruit dans son rôle par un grand prêtre de la raison, ce Sénèque si plein d’esprit, et le plus grave danseur de morale qu’il y ait eu avant ce siècle-ci. Il se peut que les princes italiens n’imitent point Néron, le voulant ; mais il y a peut-être, à son insu, un Néron dans tout Italien qui se propose la gloire. Qu’il ne se trompe donc pas sur l’heure ni sur le lieu : car enfin, il faut être Néron à Rome et non pas au village.

Les tyrans de Rimini ont néronisé sans vergogne. Le plus fameux, Gismondo Malatesta, comme on engraisse dans un