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voyage du condottière

sale écume, on dirait des oliviers fiévreux. L’horizon est vert de peste, sous les nuages bas. La terre s’efface dans l’air qui poudroie ; et le ciel se couvre d’une croûte. Les poules, grinçant de faim, font tourner la crécelle de leur sirène ridicule. Les hommes ont l’air mauvais ; les femmes ont la joue rouge et la voix rauque ; les enfants griffent et grognent.

Un lacis de ruelles entre de mornes places ; un quartier neuf, où les noms antiques grimacent hargneusement ; de tristes façades, qui réverbèrent la lumière dure, et qui, frappées par la poussière, la renvoient comme en crachant. Une puanteur de poissonnerie, et des pêcheurs hâves, aux pieds nus, dont les orteils velus se recourbent : ils courent sur les pavés en dents de scie. Une large et haute voûte, qu’abaissent de maigres frontons, c’est l’Arc d’Auguste : Jupiter et Vénus regardent avec ennui une eau oblique, l’Ausa lourde et sordide. Au bord de ce canal morose, où l’eau moisie a les reflets du laiteron qui passe, Saint Antoine a prêché aux poissons, désespérant de se faire écouter des hommes. Et le vent brûlant fait voler le sable.

Tout ce pays, de Ferrare à Rimini et de Ravenne à Bologne, est riche de moissons et de paysans républicains. Le froment fait l’homme libre. La campagne est pleine de fiers laboureurs à l’œil chaud et hardi, où je reconnais les vétérans des légions. Mais les villes ont la mauvaise odeur des petites gens, des idées basses et des sentiments médiocres. Sentines à boutiquiers, qui tournent dans la cage des préjugés et de la paresse.

Corps de garde romain sur la voie flaminienne, Rimini sue la honte bâtarde des soldats devenus brigands ou petits rentiers. Ils se sont endormis dans leurs casernes, depuis le temps où ils veillaient aux portes de la conquête. Le subtil Auguste les a fixés dans le sol, où ils campèrent ; et ils enfoncent jusqu’au