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voyage du condottière

che lumière rit sur de larges tilleuls, à tête ronde, dans le jardin des Chevaliers, je crois.

Il est des villes où le bois se fait passer pour de la pierre. La pierre, ici, joue le bois, surtout parmi les arbres. Bâle chauffe au soleil son ventre peint. Tout bâtiment semble de bois peint, même la cathédrale. Elle est au contraire de ce beau grès rouge, qui vient des Vosges, et que la beauté de Strasbourg a sanctifié. Je tâte cette grosse pierre. Je touche avec volupté son grain rude, qui a la chair de poule. Devant l’église, des enfants aux cheveux d’argent, l’œil honnête et clair, se poursuivent sans cris. Ils sont brusques et patauds, brillants et robustes. Bâle marchande, en son opulence bourgeoise, sent encore les champs. La santé fleurit son teint. Elle a les joues d’une paysanne. Sa cathédrale est coiffée d’une toiture en rubans.

Elle a l’orgueil d’être solide et riche. Elle est fière de ses bonnes mœurs, et rit en dedans de sa débauche. Elle lit la Bible d’une main, et de l’autre, derrière un rideau d’exégèse et de raison austère, elle flatte largement ses passions et tend son verre à la bouteille. Bâle est une ville qui boit à l’enseigne de la tempérance.

Elle est pleine de riches et de mendiants. Ses trois cents millionnaires y font des dynasties, comme ailleurs les nobles. Et on y compte un pauvre, nourri aux frais de la ville, par sept habitants.

Je hèle le passeur du bac. Un vieux birbe taciturne, qui sent l’eau-de-vie, me fait signe. Il est vêtu d’une laine verte, qui fleure la marée. Il a la joue longue et rouge, plus ridée qu’un toit de tuiles. Il a du poil partout ; et une boucle rousse tourne en anneau de cuivre à son oreille. Est-ce qu’il chique ? Un jus un peu jaune coule au coin de ses lèvres droites et minces, comme deux