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voyage du condottière

sasié de plaisir, un beau tapis de Perse ? L’architecte de Saint-Marc a tendu les tapis persans sur les murailles. Les marbres de couleur mêlent les écheveaux de la soie aux veines de l’or. Il y a des piliers pareils à du velours ; des parois ont l’ardeur changeante des flammes ; des arcs fauves caressent le regard à l’égal des profondes peluches ; tel angle tiède, telle rampe, telles niches ne sont point d’onyx ni de porphyre, mais de fourrures aplanies, où le pelage du lion est cousu à la peau du tigre. Les plans de pierre ont la chaude inflexion des étoffes, que gonfle l’incendie. Toute église est froide, près de cette église.

Le tissu de Saint-Marc est une mosaïque de tisons sur fond d’or. Ni l’or, ni les couleurs ne sont plus des parures à une idole, ni des ornements dus au caprice, ni un trésor égoïste qui vit pour soi et se goûte soi-même. Tout est offrande à une splendeur plus haute, comme, dans une magnifique symphonie, les instruments divers et les timbres s’immolent à l’harmonie d’un chant unique.

Qui pense à la richesse de l’accord, si l’accord est sublime ? Le sublime, comme le divin, écarte tout calcul, parce qu’il le réalise. Comme on l’éprouve, on s’y livre, et l’on est de plain-pied dans un ordre supérieur. Là, il est juste qu’à la pierre se substitue le plus beau marbre, que les murailles soient d’or, et les voûtes de vermeil, que le pavé soit de topaze, et les ombres de diamant noir.

Tant de beauté, enfin, ne peut être qu’un rythme de soleil et de nuit, d’ombre et de lumière. Jamais, en effet, plus beau poème de l’ombre et de la lumière n’est éclos sous le ciel : Rembrandt, toute sa vie, a eu Saint-Marc devant les yeux, le grand rêveur. Chaque travée est un transept pour la travée perpendiculaire. Les coupoles doublent et triplent toutes les avenues de la clarté.