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voyage du condottière

autant de rides. Ce n’est point l’idée de la trahison ni des discordes qui débrouille cet écheveau de ruelles torses. Doctorale et monastique, Padoue est un cloître à professeurs et à chanoines, ordres bourgeois qui étudient et qui mangent : en robe ou non, ils ne marchent point ; ils sortent peu ; ils ne vont jamais à pied, tant le pavé aigu montre les dents : la chaussée hargneuse est garnie de cailloux pointus, insidieux et bossus comme des arguments.

Épaisseur sans élégance, mais non sans une sorte de bonhomie. Tous les monuments, bas sur pattes, sont largement étalés sur la ligne horizontale. Les minarets des saints, au-dessus des églises, portent tout l’idéal de la race. Encore émergent-ils d’entre les fesses des coupoles. L’on comprend enfin ce que peut être la patavinité de Tite-Live : un certain accent lent, pâteux, solennel et solide, du muscle et peu de nerfs ; de fortes raisons pour la vie, sans agrément. Padoue est quinquagénaire, ennuyeuse comme la chair ; mais l’ennui est la première peau de la solidité, paterne et cossue. On pense à une ville de paysans, tous établis marchands de drap et de farine. On la sent pleine de boutiquiers, et farcie de docteurs, dévots la plupart et liseurs de livres.

Tout est épais, trapu, fait pour durer un long temps. Les rues puent. Après l’ennui, on trouve un peu à rire. Les docteurs ne vont jamais sans la farce : c’est leur toge naturelle. Au Pré du Val, désert comme un livre de science après mille ans, planté de statues, et non d’arbres, ils sont soixante-dix-huit professeurs en pierre, qui montent la garde autour d’un stade, riche en foin. Entre les feuilles rôties par l’ardeur du midi, s’avance la mosquée de Sainte-Justine. Une idée de violente raillerie saisit l’imagination, qu’excède la laideur pompeuse de cette église, coiffée de