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voyage du condottière

Tout descend, tout descend. Le feu du ciel coule lui-même sur les eaux perfides. Elles sont trop sûres, chaque soir, de tout prendre au filet et d’y tout retenir. Le ciel sanglant se lave de gris, et se bande de charpie. Et la submersion s’achève. Et telle la horde des souvenirs et d’éternels remords, les moustiques qui se ruent à la curée, s’élèvent et ronflent de toutes parts : ils filent, ils piquent, ils fuient, ils fusent par essaims, atroces, cruels, trompettes de folie, implacables, sans nombre. Déjà, les bassons des grenouilles donnent le la de la clameur palustre. Et les molles chauves-souris, se détachant des ruines, tentent leur vol feutré et poilu.

Ô soir sur la digue, entre les deux marais, la citadelle au bout de la longe, les piquets de l’ombre, et le couchant de pourpre sur les briques ! Des feux verts rampent le long de l’eau mourante jusqu’aux pleines ténèbres. Les regards de la fièvre, la féerie triste de l’eau malade, tout finit aussi par s’éteindre. Et Mantoue n’est plus qu’un cercueil sur un radeau échoué dans les mares, entre les vases purulentes et un reflet de ciel sanglant.