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voyage du condottière

Mantoue est un catafalque posé sur un miroir, dans l’incendie d’un ciel piqué de sang. Certes, le corps ne vit plus, qu’enferme cette caisse longue de la ville ; et il attend qu’on allume le brasier sur les tréteaux des ténèbres.

Alors, le soleil a disparu sous l’horizon. Tout le pays des mares a fumé une angoisse rouge. Les eaux dormantes ont frémi. Voici la grandeur, enfin ; et elle naît de la tristesse.

L’heure est terrible. L’aspect de la terre est inouï, et cette terre elle-même n’a plus de solidité, n’a plus de nom. La lagune entre en décomposition : tous les tons de l’abricot qui se gâte, du raisin qui coule, de l’orange qui pourrit.

Le réseau des buissons et des haies basses tremble, frissonne. Je vois vivre le remords : il s’éveille. Tous les roseaux ont un soupir. Les flouves gémissent une plainte. L’herbe des marais supplie. Les peupliers retiennent le sanglot que réclame la brise. C’est le crime de Mantoue, peut-être, d’avoir trahi Virgile.

Les vapeurs solennelles du lointain semblent tendues sur la porte interdite de quelque Terre Promise, d’un royaume inaccessible, que ces eaux de mélancolie divisent d’avec Mantoue en exil.

La coupole et deux clochers en épine collent de plus près au ciel leurs ombres de funérailles. Les tours carrées, brutes, pareilles à des mâts et des tournisses fichés dans le tas des maisons, croissent dans l’ombre et se gonflent de leur propre noirceur. La vue est infinie sur l’horizon de tristesse morose, qui a la douleur d’une infaillible mémoire, et le poids du plus redoutable pressentiment.

D’énormes nuées pèsent sur le cimier du dôme.