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voyage du condottière

que fortes et carrées. La race n’est pas fine. Ah, je n’ai point suivi les sieurs de la blonde Clelia, dans les rues. Car la Clelia Conti est blonde : Clelia avait les cheveux blonds cendrés ; elle était un peu pâle, et son front de la forme la plus noble.

Sur la place de l’Hôtel de Ville, le soleil me jette du rouge dans les yeux et me sèche la langue dans la bouche. J’ai couru à la Steccata, comme si elle pouvait encore sonner l’angélus de l’amour. C’est l’heure de midi, où les églises sont fermées. Je désespère, et je tiens bon contre la rage du ciel chauffé à blanc. Je ne veux rien voir qu’une rue droite, qui traverse la place, et qui va d’un bout à l’autre de la ville. Or, elle mène aussi à Rome, n’étant rien moins que la Via Æmilia. Dans Parme, elle a bien deux milles, et deux mille ans. Je la salue avec révérence, et le nom qu’elle porte, de ces fameux Emiles. Elle me fait oublier un détestable palais et deux statues bouffonnes, Garibaldi et Corrège. Ce Garibaldi, que n’a-t-il vécu éternellement, pour ne point se survivre dans une postérité de bronze et de pierre, plus nombreuse que les sables de la mer ou la famille d’Abraham. Et ce n’est rien du bon Garibaldi, près des deux rois à pied et à cheval, casqués, toujours à l’assaut de leurs propres moustaches, le nez féroce, humant à perpétuité les pétarades de leur rosse, la queue verticale, pour mieux laisser cuire, où il sied, le poivre de la victoire.

J’entre enfin à la Steccata. Je cherche Clelia et Fabrice, et ne les y trouve point. Dans cette église pompeuse, je marche avec amour. Pas une belle chapelle ; pas un beau pilier dans la nuit d’une nef, pour se baiser aux lèvres. Pas une ombre où se tenir les mains. Les orages de la passion seraient glacés sous l’œil froid de cette coupole.

La ville est d’hier. Les rues sont larges et cuisent au soleil. Le