Si le nom de Nietzsche n’y est pas prononcé, sa pensée y est présente à toutes les lignes. Il n’y a plus une parole de mauvais ton ; et le litige aigre d’autrefois s’élève à la région de la science pure. Pourtant, de part et d’autre, les arguments répondent encore à un adversaire invisible et sont fourbis comme pour un duel.
1. La théorie de Wilamowitz en 1889. — L’occasion était propice, dans une Einleitung in die Attische Tragödie [1] qui précédait l’édition d’une pièce d’Euripide. Comment ne pas reconnaître des allusions voulues dans la biographie que Wilamowitz traçait du poète ?
La puissance démoniaque de la personnalité : voilà un trait qui a caractérisé Socrate plus que tout autre mortel. C’est pour cela que nous apercevrions des traces visibles de son influence sur Euripide, s’il y avait eu entre les deux grands Athéniens si différents ce commerce personnel, que des hommes d’une pensée inconsistante continuent à soutenir[2].
Euripide était un homme mûr, « intérieurement achevé », quand Socrate a commencé à jouer un rôle. Puis, pour extirper à jamais la légende, Wilamowitz prolonge le parallèle qui accuse les antagonismes : Socrate s’attarde tout le jour au gymnase, tandis qu’Euripide vit solitaire dans sa grotte studieuse. Socrate, orgueilleux de ne pas savoir, met sa confiance dans la force du vouloir qui saura trouver sa voie, si le bon sens pratique l’éclairé. Euripide, homme de culture raffinée, est plein de mépris pour l’ignorance, mais se défie de la faiblesse de la chair. Socrate hait et harcèle les sophistes ; Euripide a connu
- ↑ On sait que ce traité, qui est un vrai livre, forme le t. I de l’édition de l’Héraklès d’Euripide, Berlin, 1889.
- ↑ Wilamowitz, Einleitung, p. 23 : « Wenn der immer noch von der Gedankenlosigkeit behauptete Verkehr der beiden grundverschiedenen grossen Athener stattgefunden hätte. » [C’est nous qui soulignons.]