CHAPITRE II
L’INCULTURE MODERNE
a déduction de Nietzsche souffre de ce paradoxe : Il
revendique et prédit pour l’Allemagne un rôle messianique.
Il la croit messagère du nouvel hellénisme.
Et pourtant la civilisation allemande est, plus qu’une autre,
dénuée de cette unité de style qui fait les civilisations supérieures.
Cette contradiction, imputable à une persistante
croyance wagnérienne, disjoindra le système. Mais le souci
de l’éliminer conduira au nouvel « européanisme » . Si les
causes, qui empêchent en Allemagne la floraison d’une
civilisation intégrale et neuve, sont des causes observables
chez tous les modernes, il est à croire aussi que
la « modernité » une fois guérie, c’est la rédemption de
tous les peuples qui sera conquise. Les diatribes de
Nietzsche contre l’inculture allemande masquent sous des
sarcasmes un orgueil national. Il faudra plusieurs siècles,
disait Gœthe à Eckermann, avant qu’on ne puisse dire
des Allemands : « Ils furent des barbares. » Cette barbarie
actuelle, que Nietzsche a l’air de dénoncer, est aussi
pour lui le présage d’un grand avenir. Le peuple allemand
n’a donné sa mesure que dans quelques grandes œuvres
sa réforme religieuse, sa musique et l’héroïque véracité
de sa philosophie. En quelques hommes, à travers trois
siècles, a jailli l’inspiration d’une nation qui a ses vues