Toute philosophie moderne est politique et policière, limitée par des gouvernements, des Églises, des Académies, des coutumes, des lâchetés humaines [1].
Et Nietzsche de mettre ce fonctionnarisme philosophique et caricatural en regard de l’état de choses antique, où les philosophes acceptaient de l’État, au plus, une couronne d’or et un tombeau sur le Céramique [2].
Ce que l’État a fait des philosophes à sa solde, on le devine ; car il n’a pu en faire que des scribes publics. Ils tiennent registre pour lui des idées du passé ; font le relevé exact de ce qui sert l’État ou de ce qui le menace, douaniers préposés à surveiller l’entrée des denrées intellectuelles dangereuses, à tirer de toutes quelque profit et comme un droit pour l’État qui les paie. Ce sont ces barèmes et ces statistiques qu’ils enfoncent dans les jeunes têtes. En mettant les choses au mieux, ils peuvent être de bons gabelous, des statisticiens de mérite et, pour tout dire, des historiens. Mais l’exactitude historique a-t-elle jamais passé pour de la pensée créatrice ?
Les philosophes ont ainsi perdu le sens et l’orientation vraie de la pensée philosophique. Ils ne sont plus ceux dont les chefs d’État prennent conseil. Ils ne légifèrent plus pour le salut de la cité. Ils ne sont plus l’organe par lequel une société essaie de s’adapter aux conditions changeantes de la vie. Ils sont livresques ; et les livres ont-ils jamais enfanté de la vie ? C’est la vie qui devrait enfanter des livres. Aux temps vraiment philosophiques, une doctrine est sentie comme vivante. Elle s’empare de tout l’homme. Elle le concentre. Elle fait de lui une énergie manifestée dans sa personne entière [3]. Une philosophie,