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vieille bogoroditsa Akoulina Ivanovna reçut des blanches-colombes, comme son fils spirituel, des titres royaux en même temps que des honneurs divins. Pour les initiés, cette Akoulina Ivanovna n’était autre que l’impératrice Elisabeth, dont ils faisaient la mère de Pierre III. Selon les skoptsy, l’empereur Paul Ier aurait voulu voir l’homme qui se déclarait son père : c’est pour cela qu’il l’aurait fait revenir du fond de la Sibérie, où le faux tsar était exilé. Les sectaires ont, sur l’entrevue de leur chef et de l’empereur, une légende reproduite dans leurs chants[1]. Cette tradition ne paraît pas justifiée. Paul Ier, qui rappela de Sibérie l’apôtre de la mutilation, semble n’avoir vu en lui qu’un fou. Selivanof fut enfermé dans un hôpital d’aliénés. Il ne recouvra la liberté que sous Alexandre Ier, grâce à l’intervention d’un gentilhomme polonais du nom d’Elinski, secrètement converti à la secte, qui comptait déjà dans la capitale de nombreux et riches partisans[2]. Pendant dix-huit ans, ce singulier messie vécut à Pétersbourg, dans la maison d’un de ses disciples, recevant les hommages de ses adorateurs en sa double qualité de dieu et de tsar, travaillant à propager sa doctrine, parfois même, dit-on, faisant à ses prosélytes l’honneur de leur en appliquer de sa main le principal précepte. L’argent des sectaires et l’état moral de la société russe sous Alexandre Ier expliquent seuls cette longue tranquillité du fanatique doublement imposteur. En 1820 Selivanof, enfin arrêté, fut enfermé, pour le reste de ses jours, dans le monastère de Souzdal ; il y est mort en 1832, âgé de cent ans. Le dieu châtré était tombé en enfance.

Pour les skoptsy, Selivanof, ou mieux Pierre III, qui a reparu sous ce nom, n’est pas mort. Il vit dans les soli-

  1. I. A. Arsenief ; Sekta skoptsof v Rossii, Berlin, 1874.
  2. Comme les khlysty, les skoptsy semblent, sous Alexandre Ier, avoir recruté des prosélytes jusque dans les classes privilégiées, parmi les officiers et les fonctionnaires, C’est. au moins ce qui résulte, des notes de police mises à profit par Nadejdine dans ses Izvedovaniia o skoptch érési, Sbornik, t. III.