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Chez quelques-uns de ces sectaires, me disait à ce propos Ivan Tourguénef, l’idée ascétique semble renforcer le préjugé théologique. Le rapprochement des sexes leur paraît une impureté ; le mariage, qui le consacre légalement, une abomination. S’ils pardonnent plus facilement le libertinage que le mariage, c’est que le repentir peut arracher à l’un et que l’autre enchaîne au péché.

Les théodosiens exprimaient leur farouche doctrine dans une formule rendue plus nette par la concision de la langue : jenatyi razjenis, nejenatyi ne jenis ; marié, démarie-toî ; non marié, ne te marie pas. Le mariage fut interdit aux célibataires, la vie conjugale aux gens mariés ; les noms de père et de mère furent proscrits. « Que le jeune homme ne prenne pas de femme, que l’époux n’use point de l’épouse, dit une sorte de catéchisme rimé ; que la jeune fille n’entre pas en mariage, que la femme mariée n’enfante point. » Les époux coupables d’avoir enfreint ce précepte, coupables d’avoir donné l’existence à des enfants, furent chassés de la communauté ou soumis à d’humiliantes pénitences. Les adhérents de ces maximes qui n’avaient point la force d’y rester fidèles furent tentés de faire disparaître les preuves de leur faiblesse. L’infanticide est ainsi un des crimes reprochés aux moines laïques de Préobrajenski. On assure que d’un étang voisin de leur cimetière on a retiré un grand nombre de cadavres de nouveau-nés[1]. Pour affranchir leurs coreligionnaires de semblables tentations, les théodosiens avaient fondé à Moscou et à Riga de vastes orphelinats. Certains fanatiques expiaient, dit-on, leur faute en enterrant vivant le fruit

  1. Livanof, Raskolniki i Ostrojniki, t. I, p. 129, cite à ce propos une épigramme qui se peut traduire ainsi :

    Pharaon tuait les enfants
    Comme Hérode les inoocents ;
    Ce n’étaient là que peccadilles,
    Car tous deux faisaient grâce aux filles ;
    Nous tuons tous nos nourrissons,
    Les filles avec les garçons.