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Tours, et les Slaves décrits par la Chronique de Nestor. À comparer les deux pays et les deux époques, ce n’est pas toujours chez le moine de Kief et chez les Rurikovitch qu’on trouverait le moins de religion et le moins de sens chrétien. Dans la Russie des Apanages, l’Église et la foi n’ont guère eu moins d’ascendant sur les grands princes qu’elles n’en ont eu, en Occident, sur les Carolingiens et les premiers Capétiens. Qu’on lise les instructions de Vladimir Monomaque à ses fils[1] ; l’empereur Louis le Débonnaire ou le roi Robert n’auraient pas, dans leur testament, montré plus de respect de l’Évangile ou de souci de l’Église.

À prendre l’époque actuelle, la Russie n’est pas non plus le seul pays des deux mondes où le christianisme se réduise fréquemment en pratiques extérieures et en notions grossières. Ce que certains Russes disent de leurs compatriotes, bien des nationaux ou des étrangers l’ont dit de maint peuple de l’Europe ou de l’Amérique méridionale. Combien de fois n’a-t-on pas répété que, avec toute sa dévotion, avec tous ses hommages aux saints et aux images, le Napolitain ou l’Andalou, et, à plus forte raison, le Mexicain ou le Péruvien, n’étaient réellement pas chrétiens ; que, sous le mince vernis de leur christianisme de surface, perçait partout le vieux polythéisme ? Pour un esprit non prévenu, le cas de la Russie n’est donc pas aussi singulier que semblent le croire beaucoup de Russes. Il n’y a pas là de quoi dénier au moujik le titre de chrétien, car il faudrait alors le refuser à bien d’autres. On risquerait d’aboutir à cette bizarre découverte, que les pays où la religion est restée le plus en honneur, où ses rites et ses préceptes ont gardé le plus d’empire sur les masses, ne connaissent ni religion ni christianisme.

La religion, et cela est vrai de la plus sublime comme des plus humbles, la religion s’épure ou se dégrade selon

  1. M. L. Léger en a donné la traduction dans sa Chronique de Nestor.