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attribuer « la décadence des mœurs » à ce que, durant quelques années, le gouvernement s’était relâché de sa sévérité vis-à-vis des spectacles en carême. Le pouvoir a fait droit aux vœux de la douma moscovite, et, conformément aux représentations du Saint-Synode, l’article 155 du code pénal a de nouveau été strictement appliqué.

Il en est des fêtes comme des jours de jeûne : le nombre en est manifestement excessif, et l’Église éprouverait les mêmes difficultés à le diminuer. Ici encore, le culte orthodoxe a pour nous quelque chose d’archaïque. Autant de fêtes que de jeûnes ; de trois jours, l’un est consacré à l’abstinence et un autre au chômage. Les dimanches forment à peine la moitié des jours fériés ; et bien des fêtes ont une veille ou un lendemain. Aux solennités religieuses s’ajoutent, en Russie, les solennités civiles, fêtes de l’empereur, de l’impératrice, du prince héritier, anniversaire de la naissance ou du couronnement du souverain. Autrefois la fête de tous les grands-ducs était jour férié.

Pour la santé publique, ces chômages répétés ne valent guère mieux que les longs carêmes. Les jours de fête sont les jours d’ivrognerie et de débauche. Si le matin est donné à l’église, le cabaret a la journée ou la soirée ; et, si tous les villages n’ont pas d’église » tous ont des cabarets. Le Russe aime peu les exercices du corps ; il passe ses fêtes au traktir ; il ne connaît d’autre plaisir que la boisson et un repos inerte. On a remarqué qu’en russe le mot fête vient du mot oisiveté[1], et comme, sous tous les climats, l’oisiveté est la mère des vices, les fêtes trop fréquentes deviennent une cause de démoralisation.

En Russie, tout comme en Occident, certains esprits s’imaginent que l’Église a multiplié les fêtes par calcul, dans l’intérêt du clergé, qui bénéficie de la dévotion de ses ouailles et de la fréquence des offices, d’autant qu’à

  1. Prasdnik « fête », de prazdnyi, « oisif ».