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est un livre écrit uniquement pour des lettrés ; le pantagruélisme est une philosophie accessible seulement à une élite d’esprits rares ; c’est presque une doctrine ésotérique, cachée, secrète. Au seizième siècle, parmi ces rares esprits, se signale le cardinal du Perron, qui appelait le Pantagruel le livre par excellence, la vraie bible, et faisait dîner à l’office ceux de ses convives qui confessaient ne l’avoir pas lu.

Montaigne nomme une fois Rabelais dans ses Essais. Nous citerons tout le passage, bien que de peu de valeur en lui-même. Mais tout de Montaigne intéresse :

« … La continuation et contention trop ferme éblouit mon jugement, l’attriste et le lasse. Ma vue s’y confond et s’y dissipe… Si ce livre me fâche, j’en prends un autre et ne m’y adonne qu’aux heures où l’ennui de rien faire commence à me saisir. Je ne me prends guère aux nouveaux, pour ce que les anciens me semblent plus pleins et plus roides ; ni aux grecs parce que mon jugement ne sait pas faire ses besognes d’une puérile et apprentisse intelligence. Entre les livres simplement plaisants, je trouve des modernes, le Décaméron de Boccace, Rabelais et les Baisers de Jean Second, s’il les faut loger sous ce titre, dignes qu’on s’y amuse. Quant aux Amadis et telles sortes d’écrits, ils n’ont pas eu le crédit d’arrêter seulement mon enfance. » (Essais, livre II, ch. x.)