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développa le cerveau, et le front s’agrandit. Les dents, qui ne s’exerçaient plus à déchirer la chair crue, poussèrent moins longues dans la mâchoire moins forte. La face humaine prit une beauté sublime, et le sourire naquit sur les lèvres de la femme.

Ici, mon père baisa la joue de ma mère, qui souriait ; puis, élevant lentement au-dessus de sa tête la dent de l’homme des cavernes, il s’écria :

— Vieil homme, dont voici la rude et farouche relique, ton souvenir me remue dans le plus profond de mon être ; je te respecte et t’aime, ô mon aïeul ! Reçois, dans l’insondable passé où tu reposes, l’hommage de ma reconnaissance, car je sais combien je te dois. Je sais ce que tes efforts m’ont épargné de misères. Tu ne pensais point à l’avenir, il est vrai ; une faible lueur d’intelligence vacillait dans ton âme obscure ; tu ne pus guère songer qu’à te nourrir et à te cacher. Tu étais homme, pourtant. Un idéal confus te poussait vers ce qui est beau et bon aux hommes. Tu vécus misérable ; tu ne vécus pas en vain, et la vie que tu avais reçue si affreuse, tu la transmis un peu moins