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Romantique, il le fut dans l’âme. Au collège, il couchait un poignard sous son oreiller. Jeune homme, il arrêtait son tilbury devant la maison de campagne de Casimir Delavigne et montait sur la banquette pour crier à la grille « des injures de bas voyou ». Dans une lettre à un ami de la première heure, il saluait en Néron « l’homme culminant du monde ancien ». Amant paisible d’un bas-bleu, il chaussa assez gauchement les bottes d’Antony. « J’ai été tout près de la tuer, raconte-t-il vingt ans après. Au moment où je marchais sur elle, j’ai eu comme une hallucination. J’ai entendu craquer sous moi les bancs de la cour d’assises. »

C’est assurément au romantisme qu’il doit ses plus magnifiques absurdités. Mais il y ajouta de son propre fonds.

Les Goncourt ont noté dans leur Journal ces dissertations confuses, ces thèses tout à fait en opposition avec la nature de son talent, qu’il répandait d’une voix de tonnerre ; « ces opinions de parade », ces théories obscures et compliquées sur un beau pur, un beau de toute éternité dans la définition duquel il s’enfonçait comme un buffle dans un lac couvert de hautes herbes. Tout cela est assurément d’une grande innocence. M. Henry Laujol a fort bien vu, dans l’étude que je signalais tout à l’heure, que la plus pitoyable erreur de Flaubert est d’avoir cru que l’art et la vie sont incompatibles et qu’il faut pour écrire renoncer à tous les devoirs comme à toutes les joies de la vie.

« Un penseur, disait-il (et qu’est-ce que l’artiste, si