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LA VIE LITTÉRAIRE.

de vie et de vérité : mais c’est un petit inconvénient, puisqu’on ne les dislingue pas à la hauteur où elles sont placées et qu’on n’en peut voir les détails que dans la gravure en taille douce d’Ambroise Tardieu.

En 1815, Denon résista vainement aux réclamations des alliés qui mirent la main sur le Louvre enrichi des dépouilles de l’Europe. Ce musée Napoléon, trophée de la victoire, fut impérieusement réclamé : il fallut tout rendre, ou presque tout. Denon ne pouvait rien obtenir et il le savait : car il n’était point homme à nourrir de folles illusions. Mais il s’honora en tenant tête aux réclamants armés. Quand l’étranger emballait déjà statues et tableaux, M. Denon négociait encore. Ami des arts, bon patriote, fonctionnaire exact, il fut parfait. Il ne sauva rien, mais il se montra honnête homme, ce qui est bien quelque chose. Il fut ferme avec politesse et gagna la sympathie des négociateurs alliés.

Et quelles sympathies pouvaient se refuser à ce galant homme ? Il ne déplaisait pas au roi, et il ne tenait qu’à lui d’achever dans la faveur de Louis XVIII une existence qui avait eu la faveur de tant de maîtres divers. Mais il avait un tact exquis, le sentiment de la mesure, l’instinct de ne jamais forcer la destinée. Il garda son poste au Louvre tout le temps qu’il y eut une œuvre d’art à disputer aux puissances. Puis quand la dernière

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  1. La colonne de la Grande Armée, gravée par Tardieu, s. d., in-f., avertissement.