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le pape Dieu. Le nouveau dogme de l’infaillibilité, qui sembla un coup de folie religieuse, fut un acte d’habileté politique.

Promulgué à l’heure où Pie IX perdait les derniers restes de son domaine royal, ce dogme substituait à la souveraineté abolie des Légations la souveraineté éventuelle de l’univers. En disparaissant à jamais derrière le Vatican, ce palais sans façade et presque sans abords, le Pape semblait dire : « Quand j’aurai laissé Rome à l’impie, quand je ne serai plus nulle part sur la terre, je serai partout et ma Rome sera le monde. » Expansion violente de la papauté subtilisée ! Si l’infaillibilité du Pape en matière de dogme est d’ordre théologique, l’infaillibilité du Pape en matière de morale est d’ordre politique ; c’est la mainmise sur toutes les consciences, c’est la direction temporelle des sociétés, c’est le Syllabus imposé aux États comme acte constitutionnel.

Rêve ? Non pas ! Réalité solide. Et ce n’est pas Pie IX seul qui a fait cela ; ce ne sont pas seulement ses cardinaux, ce sont les Églises de toutes les nations, c’est l’Église. Et dès lors, pour s’emparer de la conscience des individus et des peuples par tout le globe, la papauté mit en marche l’armée la mieux commandée et la plus disciplinée qu’on eût jamais vue, évêques, prêtres, moines et les tiers ordres.

Sans doute la papauté avait aspiré de tout temps à la domination universelle et médité de suspendre la terre à l’anneau du Pêcheur. Depuis le douzième siècle, les papes disputèrent à nos rois le gouverne-