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bouddhiste. Et c’était vrai à cette heure-là. Aux esprits mobiles, inquiets et curieux, apparaît chaque jour quelque aspect nouveau du divin. De quel profit nous serait la liberté de penser si nous ne nous en servions pas pour découvrir la vérité contenue dans toute religion ? — « Bouddhiste ? » — « Oui, Monsieur, bouddhiste. » Il suça le bout de son crayon, regarda tour à tour sa feuille et le bouddhiste avec l’expression d’un douloureux embarras. Puis il soupira : « C’est que je n’ai point de colonne pour le bouddhisme. » Il n’avait, en effet, sur son papier que trois colonnes de religions. L’État ne reconnaît que trois formes du divin.

Il y a dans notre pays un homme qui porte un titre sacré. Il s’appelle le Directeur des Cultes. Il étend la main sur la cathédrale, le temple et la synagogue, il administre le tabernacle où sont renfermées les saintes espèces, l’autel nu de la Confession d’Augsbourg et les tables de la Thorah. Il reconnaît trois vérités augustes. Pourquoi n’en reconnaît-il pas quatre, ou cinq, ou même davantage ? Il est catholique, juif ou luthérien. Pourquoi n’est-il pas aussi musulman ? C’est la religion la plus répandue sous le drapeau français[1]. Pourquoi n’est-il pas

  1. Pour être juste, il faut dire que M. le Ministre des Cultes qui est à la fois catholique, protestant et juif, est aussi musulman, depuis 23 ans. Il a reconnu la vérité du Coran, par le décret des 26 août-6 septembre 1881, comme il avait précédemment reconnu la vérité de l’ancien et du nouveau testament. En conséquence de cette quatrième foi, l’État paye les muphtis, imans, bachs-hazzabs, moudèrrs, etc.