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moment tragique une sorte de jeu d’esprit à voir les commissaires s’éloigner ou s’approcher du canapé. Brochet, qui en a fini avec les papiers du secrétaire, s’impatiente et dit qu’il trouvera bien ce qu’il cherche.

Il culbute les meubles, retourne les tableaux et frappe du pommeau de son sabre sur les boiseries pour découvrir les cachettes. Il n’en découvre point. Il fait sauter le panneau de glace pour voir si rien n’est caché derrière.

Pendant ce temps, ses hommes lèvent quelques lames du parquet. Ils jurent qu’une gueuse d’aristocrate ne se moquera pas des patriotes ! Mais aucun d’eux n’a vu la petite corne blanche qui passe sous la housse du canapé.

Ils emmènent Fanny et vont visiter les autres pièces. Ils défoncent les meubles, font tomber les vitres en morceaux et crier les parquets sous la pesée des baïonnettes qui les lèvent ; ils crèvent les matelas, éventrent les paillasses. Et ils ne trouvent rien. Pourtant Brochet ne désespère pas encore. Il retourne dans le salon.

— Les papiers sont là, dit-il ; j’en suis sûr.

Il examine le canapé, le déclare suspect et y enfonce à cinq ou six reprises son sabre dans toute sa longueur. Il ne trouve rien encore, pousse un affreux juron et sort suivi de ses hommes. Fanny écoute le léger craquement de leurs pas dans la neige : ils sont partis ; elle est sauvée. Est-elle joyeuse ? Non : mais elle ressent une sorte de gaieté mutine. Elle court, avec des rires et des sauts d’enfant, baiser le front de son Émile qui dort les poings fermés, comme si la maison n’avait pas été bouleversée autour de son petit lit.

Anatole France.

(À suivre.)