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nale ? Que faisaient Pétion, maire de Paris ; Roland, ministre de l’intérieur ; Danton, ministre de la justice ? Ils étaient impuissans, me dit-on, soit ! Pour les magistrats, l’impuissance est un crime. Et Manuel, procureur-syndic de la Commune, qui conjure les égorgeurs d’observer dans leur vengeance une certaine justice ! Et Billaud-Varennes, son digne substitut, qui recommande à ceux qui tuent de ne pas du moins dérober les dépouilles des victimes ! Et le comité civil qui délivre aux travailleurs des prisons, des bons de pain, de vin, de paille ! Et le comité de surveillance qui expédie dans tous les départemens l’apologie des massacres ! Et la nation en armes qui a vu, entendu et n’a pas bougé ! Ô lâcheté ! honte ! honte ! Personne qui ose s’indigner. Pas un écrivain dans toute la presse qui nomme le crime par son nom ! On le flatte, on le caresse ! Dans les Révolutions de Paris, le vil Prudhomme s’écrie : « Ce peuple est humain » ; le rédacteur du Moniteur vante « la mansuétude » des assassins. Et les modérés ? Ils se taisent comme Brissot, dont la feuille n’a pas un mot de blâme, ou bien, comme Dulaure dans le Thermomètre, et le triste Gorsas dans le Courrier des départemens ; ils balbutient des mots de « justice terrible mais nécessaire » et de « vengeance inspirée par de puissans motifs ». J’ai voulu que du moins on ne pût pas dire qu’en ces jours abominables personne n’éleva la voix contre les scélérats triomphans. J’ai parlé, Fanny. Ô fortune ! ô joie ! ô récompense ! l’humanité, la vertu sont vengées par l’homme qui vous aime.

Il se jeta aux pieds de la jeune femme et lui pressant les mains, il goûta une joie délicieuse à voir le plus pur des visages lui sourire avec orgueil. Il sentit