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sur les joues, aux applaudissemens de la foule ! Elle sortit rose et riante de cette étreinte. Chacun se remit à bêcher, à piocher, à voiturer, et Franchot poussa sa brouette.

Fanny était lasse et voulait partir. Comme M. Duvernay avait été appelé auprès d’un travailleur blessé, elle prit le bras de Marcel. Quand ils eurent passé le pont de bateaux qu’on avait jeté pour la fête :

— Que pensez-vous de tout cela ? dit-elle à son jeune compagnon.

— Je ne sais que penser. Dans tout ce monde je n’ai vu que vous, Fanny.

Elle le regarda tristement et lui dit avec la douce autorité des jeunes mères :

— Ce n’est pas ce genre de langage, Marcel, que nous étions convenus de parler ensemble.

Il fit un geste d’impatience.

— Et pourquoi taire ce que vous savez ?

— Je ne sais rien, je ne veux rien savoir.

Ils suivirent quelque temps en silence la berge déserte, au pied des collines. Puis ils s’assirent sur un banc :

— Marcel, lui dit elle, écoutez-moi : n’est ce pas déjà beaucoup pour un homme que d’être estimé très haut de celle qu’il aime ? Cela ne vaut-il pas qu’on y fasse effort ? Eh bien ! sachez-le : les femmes estiment, non pas ceux qui parlent avec douceur, mais ceux qui agissent avec force. Marcel, vous êtes plongé depuis deux ans dans une indigne langueur. Quand tout respire autour de vous l’enthousiasme et l’énergie, vous restez inerte et froid. Et ne dites pas qu’une autre en est la cause. Vous devez seul compte de votre vie à Dieu et aux hommes. Voici venir les jours d’épreuve,