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L’ATELIER D’INGRES

Je me souviens d’une soirée au Théàtre-Français. On jouait la traduction d’Œdipe par Lacroix, ce chef-d’œuvre qui n’eut qu’un médiocre succès, mais dont Geffroy jouait le principal rôle en grand artiste.

M. Ingres était au balcon, et j’observai avec le plus vif intérêt les émotions qui l’agitaient, et dont il n’était pas le maître. C’étaient des yeux au ciel, des bras en l’air ; il applaudissait des pieds et des mains, il se penchait en dehors du balcon, criant bravo à Geffroy. Mais, au dernier acte, quand Œdipe sort de son palais les yeux crevés, et descend les marches en se servant du mur comme point d’appui, M. Ingres fit un mouvement d’horreur, se rejeta vivement en arrière, la main sur les yeux, et entendit la fin de la pièce sans plus regarder un instant du côté de la scène.

Je lui vis ressentir un soir à l’Opéra une impression de ce genre, mais moins dramatique. Il m’aperçut dans le couloir de l’orchestre, et, une stalle se trouvant vide auprès de lui, il me fit signe de la venir prendre.

On donnait Guillaume Tell. Le rideau se leva, et, quoique M. Ingres préférât de beaucoup la musique ancienne (ce qui avait fait dire à David : « Ingres est fou, d’abord il aime Gluck »), cependant il se laissait aller à une émotion de plaisir