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L’ATELIER D’INGRES.

laissant aller ce critique déjà fameux, n’ouvrant pas la bouche ; mais, depuis quelques instants, ses doigts frappaient sur la table, comme s’il eût joué un air de piano d’un mouvement précipité, et avec une impatience qu’il avait beaucoup de peine à dissimuler.

M. Thiers enfin, qui ne s’arrête pas facilement, entreprit Raphaël et développa cette thèse qu’il n’avait fait que des vierges, et que c’était son vrai titre de gloire.

« Que des vierges ! » s’écria alors M. Ingres, qui ne put plus se contenir, « que des vierges !… Certes on sait le respect, le culte que j’ai voué à cet homme divin ; on sait si j’admire tout ce qu’il a touché de son pinceau. Mais je donnerais toutes ses vierges, oui, monsieur, toutes… pour un morceau de la Dispute, de l’École d’Athènes, du Parnasse… Et les Loges, monsieur, et la Farnésine ! il faudrait tout citer… »

J’étais fort ému ; je n’avais jamais entendu M. Ingres parler avec cette violence, et j’étais heureux de voir mon père, qui avait passé de longues années en Italie, se ranger à son avis.

Quant à M. Thiers, il ne fut pas un instant décontenancé. Il ne connaissait pas évidemment toutes les œuvres que M. Ingres citait, mais il avait pour lui la parole. M. Ingres n’avait que des mots sans suite, des exclamations, des gestes,