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UN DÎNER CHEZ MON PÈRE.

m’occuper que de ce que je sais, ou du moins de ce que j’ai appris, et ne dirai rien de l’érudition de l’un et de la politique de l’autre. Mais M. Thiers a touché aux arts, il a écrit sur les expositions de peinture, il a été ministre, à ce titre le maître souverain des artistes ; j’ai donc le droit d’en parler, et, quelque respectueux que je puisse être pour un homme plus âgé que moi, il existe dans ses rapports avec M. Ingres quelques faits que je ne puis passer sous silence : le dîner entre autres, dont je vais parler, qui réunit deux hommes si peu faits pour se comprendre, et que je me rappelle comme si j’y étais. En rapprochant ces convives, mon père avait compté sans la vivacité de M. Thiers et le caractère intolérant de M. Ingres. Aussi le dîner fut–il très-agité, et l’orage ne tarda pas à éclater.

Il était difficile de supposer que, devant un artiste de la valeur de M. Ingres, auquel on reconnaissait généralement une science profonde, M. Thiers ne garderait pas au moins une certaine réserve. Il n’en fut rien. Il parla des maîtres italiens avec la légèreté qu’il met volontiers dans ses conversations, et, par contre, la façon dont il s’exprima sur le baron Gérard, pouvait faire supposer qu’il le plaçait au-dessus d’eux, et dans tous les cas bien au-dessus de M. Ingres.

Celui-ci écoutait, les yeux fixés sur M. Thiers,