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OUVERTURE DE L’ATELIER.

Il est rare qu’il ne se présente pas dans les ateliers quelques types excentriques, bizarres, quelques génies méconnus, faciles à distinguer à leurs allures tapageuses, à leurs costumes singuliers. Un garçon de ce genre s’était fourvoyé je ne sais comment à notre atelier, car sa peinture était une exagération, sans aucune qualité, des maîtres flamands, que M. Ingres ne nous présentait pas précisément comme modèles.

Ses études avaient l’aspect d’écorchés. M. Ingres s’était passé la main sur la figure plusieurs fois déjà, et avait poussé des hum ! significatifs ; mais, comme ce garçon n’avait pas du tout l’air commode, il imposait à M. Ingres, qui pourtant un jour n’y tint plus et lui fit des observations très-dures. L’autre ne lui répondait que par ces mots : « Moi, monsieur, je vois comme ça. » Au premier moment,M. Ingres resta interdit ; mais tout à coup se redressant : « Je vois, moi, monsieur, que nous ne nous entendons pas… et quand on ne s’entend pas… » de ses deux mains il indiquait la porte et ne répétait que ces mots : « Vous savez, monsieur, quand on ne s’entend pas… »

L’atelier était dans un silence complet, chacun avait l’air profondément occupé de son travail ; enfin le malheureux se mit à ranger sa palette et s’en alla en murmurant : « Ça n’empêche pas que je vois comme ça. »