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DEUX PORTRAITS.

phaël ait fait un plus beau portrait que cela… »

M. Ingres fit d’abord un bond, pivota un instant sur lui-même, et s’adressant à ce Monsieur : — « Je ne permets pas qu’on prononce de pareils noms devant un ouvrage de moi, qu’on ose me comparer à cet homme divin, ni à aucun autre de ces grands maîtres ! Je ne suis rien, Monsieur, à côté de ces colosses… Je suis… (et se baissant, il approchait la main du parquet) je suis haut comme ça… (et il baissait toujours la main). Enfin on ne me voit pas, Monsieur… Quant aux contemporains… c’est autre chose. » — Et se redressant pour ne pas perdre une ligne de sa petite taille, en frappant le sol de ses deux talons : « Je suis solide sur mes ergots… je ne les crains pas ! »

J’ai été souvent témoin, chez M. Ingres, de ces excès de modestie et d’orgueil tout à la fois. J’ai vu plus tard ce même homme qui se faisait si petit tout à l’heure, furieux d’un article très-flatteur, mais qui manquait peut-être d’enthousiasme, et que Delescluze avait publié dans les Débats. Il jura même de ne plus exposer tant que ce critique ferait le Salon dans ce journal.

C’est que l’éloge est bien difficile à décerner à ces grands hommes. Il y a toujours à craindre de dire trop ou pas assez. Aussi avais-je grand soin de ne m’y risquer jamais.