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DEUX PORTRAITS.

d’autres détails que ne m’avait pas racontés M. Ingres. M. Bertin lui-même, en me confirmant ceux que je savais, me parla de la peine que lui avait causée le désespoir de M. Ingres, pendant les séances. « Il pleurait, me disait M. Bertin, et je passais mon temps à le consoler. — Enfin, il fut convenu qu’il recommencerait. Un jour qu’Ingres dînait ici, nous prenions, comme aujourd’hui, à cette même place, le café en plein air ; je causais avec un ami, et j’étais, paraît-il, dans la pose du portrait. Ingres se lève, s’approche de moi, et me parlant presque à l’oreille : « Venez poser demain, me dit-il ; votre portrait est fait. » Le lendemain, en effet, je reprenais mes séances, qui furent de très-courte durée ; en moins d’un mois, le portrait fut achevé. »

J’eus la bonne fortune d’aller voir ce portrait chez M. Ingres avant l’ouverture du Salon. Je me souviens, comme si j’y étais, de l’impression étrange qu’il me produisit, et il me fallut quelques instants avant de m’accoutumer au ton violacé de cette peinture. Je l’ai revu depuis bien souvent, j’en ai même fait une copie, et je m’explique un mot de M. Ingres, que je ne comprenais pas alors : « C’est le temps qui se charge de finir mes ouvrages. »

Ce portrait a complétement perdu l’aspect qui m’avait frappé, et voici pourquoi. Les laques