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L’ATELIER D’INGRES.

Mais tout change si l’homme qui vous dirige a sur vous l’influence d’un grand talent, et s’il a un but auquel il tend avec toute la volonté et le despotisme du génie ; vous ne pouvez qu’écouter, vous soumettre, exécuter presque des ordres, et, quand le maître descend jusqu’à des détails d’exécution, ce qui, du reste, est assez peu habituel de la part de ces grands talents, vous notez avec soin tout ce qui sort de sa bouche. M. Ingres parle-t-il avec enthousiasme de ce gris-laqueux dont se composent les demi-teintes, vous ne voyez plus les demi-teintes que de ce ton-là. Vous dit-il que le brun-rouge est une couleur tombée du ciel, vous vous empressez d’en couvrir votre palette. S’il appelle votre attention sur les beautés du corps humain, il ne vous dira pas : « Je trouve », ou bien : « Généralement on a trouvé cela plus beau pour telle ou telle raison » ; ce que ferait un professeur ordinaire et ce qui vous permettrait de raisonner vous-même. Non. — Il vous dira : « Ce front est beau parce qu’il est bas, ce torse parce qu’il est court. » Nécessairement, vous ne discutez pas, et vous faites tous vos fronts bas et tous vos torses courts.

Il résulte de cet enseignement que, lorsque l’élève produit une œuvre et met en pratique les conseils qu’il a reçus, on doit trouver tout