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quoique privés de vie et légués à la terre, n’étaient pas moins puissans que leurs ames glorifiées dans le ciel, et que la plus légère parcelle de leurs reliques pouvait, aussi bien que le corps tout entier, opérer les plus merveilleux effets.

On fit plus, on attribua la même vertu à leurs vêtemens, à tout ce qui leur avait appartenu pendant leur vie ; enfin, à la poussière même de leurs sépulcres, qu’on portait quelque fois suspendue au cou, précieusement renfermée dans une petite boîte, usage dont Grégoire de Tours cite un exemple remarquable dans le livre viii de son Histoire des Francs[1]. On conçoit aisément à quel point de semblables croyances devaient exalter l’imagination du peuple, et combien alors il était facile à l’imposture de mettre à profit le commerce sacrilége et si longuement prolongé des fausses reliques. L’historien que nous venons de citer rapporte qu’en 580, un misérable, abandonné aux vices les plus crapuleux, vêtu d’une tunique sans manches et totalement enveloppé d’un suaire, s’avisa de paraître dans la cité de Tours, en prétendant apporter d’Espagne des reliques des saints martyrs Vincent, prêtre, et Félix. Repoussé dans cette ville par l’évêque et les clercs, il parut effrontément à Paris pendant la solennité des Rogations, et le scandale qu’il y occasionna fut tel que l’évêque Ragnemode le fit emprisonner ; ce prélat le rendit ensuite à Amélius, évêque de Bigorre, qui reconnut ce fourbe pour un de ses domestiques qui s’était enfui de chez lui. « On voit continuellement, dit Grégoire de Tours, en terminant ce récit, beaucoup de gens induire le peuple des campagnes en erreur par de semblables impostures. » Il nous est difficile aujourd’hui, d’après l’idée que nous avons conçue de l’état des lumières à l’époque dont il s’agit, de

  1. C’est probablement sur ces sortes de pratiques que l’hérésiarque Vigilance, dont saint Jérôme fut le plus redoutable adversaire, fondait les épithètes injurieuses de cendriers et d’idolâtres qu’il adressait à ceux qui révéraient les reliques des martyrs et des saints.