Page:Amable Floquet - Anecdotes normandes, deuxieme edition, Cagniard, 1883.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.

peureux, tout eût été à l’aventure ; non pas que ce bon bourgeois n’aimât tendrement sa fille, et qu’il ne se fût promis cent fois de ne la donner qu’à un marchand comme lui, qui pût lui aider à supporter son antiquité et son estat de marchandise, comme on parlait alors ; mais il n’en fallait pas tant que le nom du roi Louis XI pour faire trembler le bonhomme de tous ses membres, et pour qu’il donnât les mains à tout ce qu’on aurait voulu faire. Dans une foire, Jehan Le Tellier valait son pesant d’or ; mais, revenu au logis, il ne savait plus que rester assis, tout le long des jours, sur un banc de chêne à accoudoir, comme on en voyait tant alors dans la Grand’Rue et dans la rue du Gros-Horloge ; ne bougeant non plus qu’un terme, hormis pour saluer les voisins et les voisines ; et, à tout propos et de quoi qu’il fût question, « parlez à ma femme, » c’était tout ce qu’on pouvait avoir du bon marchand.

De tels hommes, il y en a plus qu’on ne croit ; mais, ô Providence ! ils ont presque toujours des femmes de cœur, de tête et de résolution, qui, pour le bien des affaires, prennent les rênes de l’administration, à leur corps défendant, cela va sans dire, mais les prennent enfin et les tiennent bien ; les choses n’en vont pas toujours plus mal. Dame Estiennotte était de ces femmes-là, concevant vite, voulant fortement,