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plus de gendre que de la main du roi, ce dont Dieu nous garde et Notre-Dame de Bon-Secours. » Bref, chacun disait son mot, chacun plaignait Jehan le Tellier, Estiennotte sa femme, surtout la belle Alice, leur fille, douce, modeste, charmante, si heureuse encore la veille, aujourd’hui menacée d’un si triste sort ; et l’indignation de ces braves gens ne saurait se peindre. Mais le plus animé de tous était un jeune homme de quelque vingt-cinq ans, fils d’un marchand dont la maison faisait face à celle de Jehan Le Tellier ; beau compagnon, gai, vif, dispos, à l’œil alerte, à la langue agile, agréable parleur pour l’ordinaire ; mais, cette fois, son courroux l’inspirait, et onques il n’avait été si éloquent. Il fallait l’entendre invoquer les droits sacrés des parents et les libertés de la province, puis insister gravement sur le danger de marier des filles à des gens qu’on ne connaît pas ! Il disait d’or ; vous y auriez pris plaisir.

Il y avait bien là quelques malins qui disaient tout bas que le zèle du jeune homme pour les libertés du pays n’était pas celui qui lui tenait le plus au cœur. A les en croire, ils l’avaient vu maintes fois regarder la jolie voisine d’en face avec une persévérance et une application qui ressemblaient beaucoup à l’extase, au point que, dans ces moments-là, il ne voyait pas les chalands entrer dans sa propre boutique, et que lors-