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FROMENT ORDINAIRE

plus anciens lacustres de la Suisse occidentale cultivaient un blé à petits grains que M. Heer[1] a décrit attentivement et figuré sous le nom de Triticum vulgare antiquorum. D’après un ensemble de divers faits, les premiers lacustres de Rohenhausen étaient au moins contemporains de la guerre de Troie et peut-être plus anciens. La culture de leur blé s’est maintenue en Suisse jusqu’à la conquête romaine, d’après des échantillons trouvés à Buchs. M. Regazzoni l’a découvert également dans les débris des lacustres de Varèze et M. Sordelli dans ceux de Lagozza, en Lombardie[2]. Unger a trouvé la même forme dans une brique de la pyramide de Dashur, en Égypte, qui date, selon lui, de l’année 3359 avant Jésus-Christ (Unger, Bot. Streifzüge, VII ; Ein Ziegel, etc., p. 9). Une autre variété (Triticum vulgare compactum muticum, Heer) était moins commune en Suisse, dans le premier âge de la pierre, mais on l’a trouvée plus souvent chez des lacustres moins anciens de la Suisse occidentale et d’Italie[3]. Enfin une troisième variété intermédiaire a été trouvée à Aggtelek, en Hongrie, cultivée lors de l’âge de pierre[4]. Aucune n’est identique avec les blés cultivés de nos jours. On leur a substitué des formes plus avantageuses.

Pour les Chinois, qui cultivaient le froment 2700 ans avant notre ère, c’était un don du ciel[5]. Dans la cérémonie annuelle du semis de cinq graines instituée alors par l’empereur Shen-Nung ou Chin-Nong, le froment est une des espèces, les autres étant le Riz, le Sorgho, le Setaria italica et le Soja.

L’existence de noms différents pour le blé dans les langues les plus anciennes confirme la notion d’une très grande antiquité de culture. Il y a des noms chinois Mai, sanscrits Sumana et Gôdhûma, hébreu Chittah, égyptien Br, guanche Yrichen, sans parler de plusieurs noms dans les langues dérivées du sanscrit primitif ni d’un nom basque Ogaia ou Okhaya, qui remonte peut-être aux Ibères[6], et de plusieurs noms finlandais, tartare, turc, etc.[7], qui viennent probablement de noms touraniens. Cette prodigieuse diversité s’expliquerait par une vaste habitation s’il s’agissait d’une plante sauvage très commune, mais le blé est dans des conditions tout opposées. On a de la


    p. 417 ; Dureau de La Malle, Ann. des sc. nat., vol. 9, 1826 ; et Loiseleur Deslongchamps, Considérations sur les céréales, 1812, partie 1, p. 52.

  1. Heer, Pflanzen des Pfahlbauten, p. 13, pl. 1, fig. 14-18.
  2. Sordelli, Sulle piante délia torbiera di Lagozza, p. 31.
  3. Heer, l. c., Sordelli, l. c.
  4. Nyary, cité par Sordelli, l. c.
  5. Bretschneider, Study and value of chinese botanical works, p. 7 et 8.
  6. Bretschneider, l. c. ; Ad. Pictet, Les origines indo-européennes, éd. 2, vol. 1, p. 328 ; Rosenmüller, Biblische Naturgesch, 1, p. 77 ; Pickering, Chronol. arrangement, p. 78 ; Webb et Berthelot, Canaries, part. Ethnographie, p. 187 ; d’Abadie, Notes mss. sur les noms basques ; de Charencey, Recherches sur les noms basques, dans Actes Soc. philolog., 1er  mars 1869.
  7. Nemnich, Lexicon, p. 1492.