Page:Almanach du Père Peinard, 1896.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.

venait de siffler d’une goulée. Seulement, hélas, y a un sacré cheveu : on ne verra pas ça !

— Heu, heu, qu’en sait-on ? Qui peut dire ce que nous réserve demain ? Écoutez, faut jamais désespérer du temps présent : si avachi, si loin de toute grande pensée que semble le populo, faut pas croire qu’il est vidé et qu’il n’a plus rien dans les tripes. Tous les jours du sang nouveau vient vivifier l’humanité ; tous les jours de nouvelles générations poussent.

Ne désespérons pas !

Tenez, un exemple : en 1783, peu avant sa mort, un bougre rudement épatant, Diderot, découragé, écœuré de voir que la pourriture montait, gangrenant de plus en plus la France, prédisait la putréfaction complète : pour lui c’était un peuple foutu !

Eh bien ! six ans après, ce peuple que Diderot avait cru masturbé, fini, vidé pour toujours, fichait la Bastille en bas, et, continuant le mouvement, faisait valser les aristos et coupait le cou au roi…

Ne désespérons pas !

Sur ce, buvons une dernière verrée à la santé de cette société galbeuse que la frangine a reluqué dans le lointain… Buvons à sa prochaine venue !…

Et maintenant, je vous plaque ! »

— o —

Quand j’eus dévalé de la roulotte, il était bougrement tard ; la fête était bouclée, on n’entendait sur les trottoirs que les bottes des flicards se traînaillant à la recherche d’un bistrot entr’ouvert, — pour se faire rincer.

La tête farcie de tout ce que je venais d’entendre, je me suis rentré dans ma tanière, — et toujours me revenait la question :

« Quand ça viendra-t-il ?… Quand ça viendra-t-il ?… »

Chant d’Harmonie

Air de : Les Petits Chagrins


I

En vrai compagnon, tu le sais,
En libertaire, je t’aimais
Sans nulle chaîne ;
Que tu sois lassée avant moi,
Que je t’aime encore — et plus toi.
Voilà ma peine.


II

De nos jours, la Société
Regarde l’infidélité
Comme un scandale.
Nos descendants s’esclafferont
Lorsqu’en amour ils connaîtront
Cette morale.


III

Car le cœur est fait pour aimer,
Nos sens ont besoin de goûter
La douce ivresse ;
Mais risible il est de penser
Que même coupe doit verser
Le vin tendresse.


IV

Que chacun aime à sa façon !
La grande loi d’attraction
Seule est féconde.
Laissons l’amour en liberté
Fonder par pure affinité
Un nouveau monde.


V

Alors, adieu, peines et pleurs
Remords, angoisses et douleurs.
La jalousie
Disparaîtra spontanément
Pour faire place en un moment
À l’harmonie,


VI

Hâte-toi, jour trop attendu
Pour toi, nous aurons combattu
Heure bénie !
Ou les humains s’entr’aimeront,
Libres, égaux, heureux, vivront
En anarchie.