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L’AVIATEUR INCONNU

moins casanier que son frère, fréquentait le Casino, écou­tant un concert, ou perdait son argent au Cercle, et paraissait goûter l’amitié de Vernal, qui le lui rendait bien.

— Eh bien, la représentation vous a-t-elle satisfaites, mesdames ? interrogea le peintre.

Elvire répondit par quelques mots distraits. Son esprit était ailleurs ; dès qu’elle apercevait Jean-Louis — c’est-à-dire une vingtaine de fois par jour, comme le veut la familiarité des plages — elle se le représentait courant loin de Pourville à un rendez-vous de nuit. Mais elle s’était bien gardée de lui communiquer ses appréhensions et avait fait promettre à Flossie d’imiter sa réserve.

Si la jeune fille n’était point prodigue de réflexions tou­chant la représentation qui venait de finir, Flossie, elle, ne négligea pas d’en faire la critique. Moins de la pièce, à vrai dire, que de l’interprète, célèbre sociétaire de la Comédie-Française.

— Je ne parviens pas, déclarait-elle à Tristan, dont elle appréciait l’humeur fantasque, à comprendre pourquoi, chez vous, les vieilles actrices veulent absolument jouer des rôles de jeunes personnes !

Tristan Bergemont, d’un air dogmatique :

— Cela fait partie des traditions nationales.

— Qu’est-ce que ça signifie ?

— En France, ma chère Flossie, nous sommes habitués à certaines choses insupportables, qui nous manqueraient si nous en étions tout à coup privés. Exemple : les lenteurs administratives, les bureaux de postes mal tenus, les actrices très âgées dans des rôles juvéniles.

— Mais c’est absurde !… Sans compter que le spectateur éprouve devant cette anomalie théâtrale une impression désagréable, presque choquante !

Avec le plus grand sérieux, Bergemont aîné arti­cula :

— Ça dépend des goûts. En général, on vénère la beauté des ruines !

Flossie allait houspiller ce plaisantin d’oncle Tristan, lorsque la réapparition de l’officier sollicita derechef son intérêt. Bien pris dans son uniforme sombre, cet officier, décidément curieux, passa lentement et ne manqua pas de considérer tour à tour la tante et la nièce, l’une et l’autre