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L’AVIATEUR INCONNU

avait chu dans la rue, devant la mairie ; c’était un portefeuille de cuir solide dans lequel se trouvait une photo de lieutenant aviateur en grande tenue, mais dont le visage était remplacé par un ovale entièrement blanc. Quant au troisième message, une botte de pensées multicolores liée à un poids de balance, il avait causé une véritable panique chez l’excellente vieille Mme Le Hochepie, respectable rentière, car le bouquet et son poids de cuivre étaient tombés sur une serre, avaient crevé le châssis vitré avec un tel fracas que la bonne dame, réveillée en sursaut, avait cru son dernier jour arrivé. Bien entendu, au dos de la photo et autour du bouquet se retrouvait la même écriture impersonnelle avec des compliments insidieux.

On conçoit que ce jeu finit par avoir à Pourville une répercussion énorme. Il n’y était plus question que de Mlle Bergemont et de son adorateur mystérieux. Les amis de Bergemont cadet ne se privaient pas de l’inter­viewer, de le harceler, à tel point qu’il dut s’interdire d’aller faire sa partie de billard au café, ainsi qu’il en avait l’habitude. Plus distant, moins accessible aux interroga­toires, Bergemont aîné, qui n’était pas toujours commode, se borna à rechercher, pour ses promenades quotidiennes, les endroits peu fréquentés… Mais Elvire, obligée, en sa qualité de maîtresse de maison, de voir quantité de gens, à commencer par les fournisseurs, en était à appréhender de franchir la grille de la villa, surprenant dans les regards de chacun et sous les moindres paroles, une joyeuse moquerie prête à fuser en éclats de rire.

Il est facile de se représenter l’état d’énervement dans lequel cette atmosphère déprimante précipitait la jeune fille. Un jour, à déjeuner, elle n’y tint plus et, mue tout ensemble par l’espèce de sourde rancune qu’elle ressentait à tort ou à raison envers son père, et par son irritation permanente, elle s’écria :

— Enfin voyons, il est impossible que cette tyrannie continue, que nous la subissions d’une façon aussi débonnaire.

— Eh ! que veux-tu que nous fassions ? émit l’oncle Tristan.

— Ah ! je ne sais… ce n’est pas à moi de trouver des stratagèmes, des mesures de protection… c’est à vous, par