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L’AVIATEUR INCONNU

entretien épineux. Toute la diplomatie des jeunes gens consistait donc à entretenir la conversation en évitant d’y prononcer des mots dangereux, tels que peinture, artiste, mariage, aviation, etc. Il en résultait parfois des périodes assez laborieuses, des silences pénibles et, d’une manière générale, la plus désagréable contrainte. Le seul qui conservât tout son laisser aller, c’était encore Bergemont aîné ; mais nous le répétons, il affectait de vivre désormais « en marge » et ne prenait part aux réunions du soir que lorsqu’il ne pouvait absolument s’en dispenser.

Ainsi la vie familiale se traînait, dans la villa de Pourville, et les intérêts du jeune couple n’avançaient guère, quand, à six semaines de là, se produisit un événement qui défraya soudain tous les propos.

C’était pendant, non pas l’horreur, mais le calme d’une profonde nuit, plus exactement vers les premières lueurs du matin, que le fait arriva. Elvire qui avait l’habitude de dormir, sa fenêtre grande ouverte, fut réveillée par un bruit aérien auquel il était impossible de se méprendre, le bruit puissant et très proche d’un moteur d’avion. Jusque-là, rien de particulier, car Pourville se trouve sur une ligne assez familière aux aéroplanes, étant donné surtout la proximité de l’aéroport de Buchy. Un moment attentive, Elvire avait prêté l’oreille au ronflement décroissant, puis s’était assoupie, mais pour se réveiller très vite : de nouveau, le bruit du moteur emplissait l’espace… La jeune fille sauta hors de son lit, courut à la fenêtre et tenta vainement de distinguer l’appareil dans la clarté confuse du petit jour… Pourtant l’avion était là, volant très bas sans aucun doute, à en juger d’après la sonorité de son bourdonnement. Tout auprès d’Elvire, des contrevents, brusquement repoussés, claquèrent contre la muraille et le visage de Bergemont cadet se montra, tourné vers le ciel.

— Entends-tu ? demanda-t-il à sa fille.

— Je crois bien, répondit Elvire, voilà trois quarts d’heure que ce ronflement m’empêche de dormir ! D’ordinaire, les avions passent, leur bruit décroît à mesure qu’ils s’éloignent… Celui-ci a l’air de tourner autour du pays !

— Peut-être est-il égaré ! fit Bergemont cadet. Qui sait si ce n’est pas quelque aviateur américain arrivant en France comme Lindberg et Byrd !

— Quelle idée !