frère est affligé d’une incompréhension chronique à l’égard des ornements de l’esprit.
— Toi, on ne te demande pas ton avis ! grondait M. Félix.
Et M. Tristan de répondre :
— C’est bien le tort qu’on a ! Si tu me consultais chaque fois que tu prétends discourir sur des sujets dont tu ne connais pas le premier mot, tu ne commettrais pas la faute de l’archevêque de Grenade !
Et, se tournant vers Jean-Louis Vernal, il interrogeait :
— Vous vous rappelez, n’est-ce pas, le fameux chapitre de Gil Blas ?
Le peintre se rappelait à merveille, mais il faisait semblant d’hésiter pour être agréable à son interlocuteur et lui permettre de placer une citation.
Un soir, l’oncle d’Elvire venait de formuler son appréciation, assez flatteuse, sur le talent de Jean-Louis Vernal, alors absent, quand Bergemont cadet s’écria :
— Peinture, littérature, tout ça, ce sont des balivernes ! Moi, j’estime qu’on doit vivre avec son temps, qu’on doit faire appel aux initiatives hardies, aux idées neuves…
— Il n’y a pas d’idées neuves, coupa son frère, il y a des idées éternelles qu’on a l’illusion de découvrir !
— Tu m’agaces ! J’appelle idées neuves, celles que le progrès nous oblige à avoir !
— Le progrès n’existe pas !
— Quel malheur d’avoir pour frère un être aussi borné ! Quoi ! le progrès n’existe pas ? Et la vapeur ? et l’automobile ? et l’aviation ?
— Ah ! si tu confonds la vitesse avec le bonheur de l’humanité…
— Enfin, nom d’un chien, la traversée de l’Atlantique, Lindberg, Byrd, Chamberlin, Costes, le rapprochement des peuples !…
— Plus les peuples se rapprochent, moins ils s’entendent !
— Tiens ! tu n’es qu’un monstrueux sceptique !
— Et toi un optimiste béat ! Tu t’épanouis en regardant en l’air pour contempler un avion !
— Je m’en vante ! s’écria Bergemont cadet ; si j’avais un fils, j’en ferais un aviateur, un pionnier de l’espace… Et si ma fille veut mettre le comble à mes vœux les plus chers, c’est un aviateur qu’elle épousera l