naire quelconque, les peuvent faire réintégrer à l’île des Pins ?…
Un jour, après que le signal m’en eut été donné, lourde se rendit à l’endroit accoutumé et, d’un ton qui ne manquait pas de solennité, m’annonça qu’il s’occupait sérieusement de me faire évader.
— Tiens-toi prêt ! me dit-il, en me quittant.
Prêt ! Mais je l’étais depuis la minute même où les argousins de la République m’avaient ravi ma liberté.
Des semaines s’écoulèrent sans que Jourde me fît connaître où en étaient ses projets.
Grâce aux bons offices de M… j’avais pu également correspondre avec quelques amis de la déportation habitant Nouméa et, le transport le Fénelon ayant, avec quelques émigrants alsaciens-lorrains, débarqué un certain nombre de familles de déportés, il me fut donné de revoir des personnes que j’avais connues soit avant ou pendant la tourmente révolutionnaire.
Comme toujours, lorsque les obstacles sont grands, les femmes se montrèrent les plus dévouées et s’exposèrent à de sérieux désagréments pour m’être utiles. Ce ne fut pas de leur faute si le bagne garda sa proie.
Ma reconnaissance émue salue, avec le plus grand respect, les citoyennes Bourdinat, Chaudière, Sivadon ; Mlles Guillaume, les citoyennes Leroy et Rastoul, dont le jeune fils était admirable d’adresse et de sang-froid. Chaque fois qu’il avait à me communiquer quelque renseignement, il savait m’avertir en jetant aux échos quelques-uns des refrains en vogue durant la guerre, et sa voix claire et joyeuse de gamin de Paris, en même temps qu’elle me réjouissait, provoquait en moi des émotions intenses, lorsqu’éclatait, auprès de l’imprimerie ce chant gouailleur :
« As-tu vu Bismarck, à la porte de Châtillon ?… »
Cela devait être devenu bien banal pour les habitants de la vaste cité, mais quand ces accents étaient perçus aux antipodes et par le pauvre forçat que j’étais, ils acquéraient un prix inestimable. C’était l’annonce d’un mot qu’un ami m’adressait ou une réponse que je devais remettre. Jamais commissionnaire ne sut mieux remplir sa tâche.
