Page:Allais - À l’œil.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ventre creux, la bouche pleine de poussière âpre, et fatigué !… Mais je voyais Paris !

C’était une belle soirée. Des amoureux et des familles se promenaient dans le bois. Les amoureux, ça m’était égal. Quand on a deux cents lieues dans les jambes, Cupidon est un tout petit serin et pas autre chose !…

Mais les familles ! Oh ! les garces de familles ! Plein leurs paniers elles avaient des charcuteries dont l’odeur me saoulait. Ventre affamé n’a pas d’oreilles, mais il a un sacré nez. Imagine-toi, mon ami, que je distinguais avec une subtilité infaillible et douloureusement aiguë les saucissons qui passaient, et les cervelas, et les fromages d’Italie.

Je me sentais mourir, et, à ce moment-là, je puis bien te le dire, j’aurais tué un homme, oui, tué un homme, pour un morceau de viande et un verre de vin.

Je crois que j’ai dû m’évanouir un peu, pendant quelques instants, car je trouvai installés près de moi, sans que je les eusse vu venir, des gens, sept ou huit, deux hommes, deux femmes et des gosses. Ils étaient rangés autour d’une nappe blanche, bien tirée sur l’herbe, et ils dévoraient un énorme jambonneau.

Après le jambonneau, une dinde froide, et puis une salade de légumes, et puis des fruits,