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Tout y passa, sa ferme, ses écus, la dot de sa femme.

— J’étais pas fait pour cultiver la terre, disait-il ; ce qu’il m’aurait fallu à moi, c’est la .

Et c’était peut-être vrai.

J’ai souvent rencontré, dans mon pays normand, des campagnards aux yeux bleus qui n’aimaient pas la Terre et qui se sentaient tourmentés par des aspirations de haute-mer, sans doute quelques gouttes de vieux sang de corsaire scandinave qui battaient dans leurs artères.

Quand il fut au bout de ses ressources, il vint à la ville et se fit pêcheur à la boudequèvre.

La boudequèvre (je ne suis pas sûr de l’orthographe) est un grand filet tendu sur deux longs bâtons qu’on pousse devant soi en marchant dans le flot.

La marée faite, il vendait son petit lot de crevettes, achetait d’invraisemblables quantités de genièvre, de cet affreux genièvre dont les ports de mer semblent avoir le monopole, et il était content.

Mais, avec l’âge, arrivèrent les rhumatismes, et la boudequèvre lui devint impraticable.

C’est à cette époque que je le connus.

Il s’était installé marchand de sable.

Un vieux camarade à lui, charron d’un village voisin, lui fabriqua à crédit une brouette.